Bruxelles, le 15 mai 2003

 

ASCO – ASSOCIATION DES COMÉDIENS

ASBL CIE DES ILLUSIONS

 

TEXTE DE PIERRE DHERTE (COORDINATEUR)

 

 

LE STATUT DE L’ARTISTE

 

DÉBAT DU 22 MAI 2003 AU THÉÂTRE DE NAMUR

Direction générale de la Culture du Ministère de la Communauté Française

 (Service de la formation)

 

 

 

1/ INTRODUCTION

2/ POURQUOI NOUS SOMMES OPPOSÉS À CE PROJET DE LOI

3/ CE QUE NOUS PROPOSONS COMME ALTERNATIVE

 

 

 

1/  INTRODUCTION

 

Le nouveau statut de l’artiste peut se définir de la manière suivante : Il concerne l’ensemble des artistes sans plus faire de distinction entre les artistes interprètes et les créateurs. Tous les artistes (même les artistes indépendants actuels) sont présumés être des salariés, sauf s’ils prouvent le contraire. Et les artistes du spectacle (actuellement salariés) perdent leur statut de salariés obligatoires. Ils pourront demander d’émarger au statut des indépendants. Les indépendants pourront donc devenir salariés et les salariés, indépendants.

 

L’acceptation des demandes sera évaluée par une commission mixte ONSS-INASTI, dite « commission des artistes ». Des structures intermédiaires seront mises à disposition des utilisateurs occasionnels d’artistes pour remplir les obligations d’employeurs. Une réduction des cotisations sociales sera accordée. Le nombre de jours nécessaires pour conserver les droits au chômage sera diminué. Les cachets seront transformés en nombre d’heures ou de jours de travail. Une même caisse d’allocation familiale, d’assurance accident de travail et de vacances annuelles sera attribuée à l’artiste quelques soient ses employeurs.

 

 

Il y a une grande ambiguïté. On confond bien souvent le mot statut avec le mot reconnaissance. Tout artiste souhaite être reconnu et avoir une meilleure condition de vie. La question fondamentale est de savoir si un nouveau statut juridique améliorera ou pas notre sors à tous ?

 

Le problème des artistes n’est pas fondamentalement résolu par un statut juridique. Il pourrait éventuellement être résolu par l’emploi, par des réponses concrètes aux problèmes fiscaux, contractuels, sociaux, par une politique culturelle cohérente et volontariste mais surtout par un refinancement conséquent du secteur. 

 

Il y a également de grandes lacunes et peu d’audace en ce qui concerne la valorisation et la promotion de nos artistes. La RTBF par exemple, qui est une chaîne publique, devrait mieux répondre aux objectifs de reconnaissance culturelle de notre communauté.

 

La multiplicité des ministres ayant dans leurs attributions des compétences culturelles n’arrange rien à l’affaire ! Nous pensons que la communauté française devrait songer à regrouper toutes les compétences culturelles dans un seul portefeuille ministériel. Cela simplifierait et améliorerait certainement le sors des artistes, souvent confrontés à une multiplicité complexe d’interlocuteurs.

 

Ces quelques précisions étant faites, concernant le statut de l’artiste qui sera d’application le 1er juillet prochain et qui fait l’objet de cette rencontre, nous tenons à préciser que l’association des comédiens est défavorable aux principaux points de cette nouvelle loi. Nous reconnaissons cependant l’intérêt d’une seule caisse d’allocation familiale pour les artistes à employeurs multiples.

 

Par notre position, nous rejoignons ainsi l’ensemble des milieux patronaux et syndicaux, les milieux universitaires, la majorité des associations et le Conseil National du Travail qui a émis deux avis négatifs sur ce statut. Nous admettons avoir été consultés mais pas réellement écoutés.

 

Nous regrettons le fait que ce statut ignore complètement l’aspect fiscal qui est pourtant capital pour les artistes.

 

Nous regrettons également que ce statut ait été intégré à l’outil loi-programme de novembre 2002 qui est ainsi détourné une fois de plus de sa vocation première qui consiste à concrétiser les engagements pris via le budget de l’année en cours. Il faut savoir que la loi-programme réduit également les possibilités de débats parlementaires longs et accompagnés d’auditions.

 

Nous sommes donc favorables à une poursuite de la réflexion et à l’ouverture vers d’autres pistes que nous évoquerons en conclusions.

 

 

2/ POURQUOI NOUS SOMMES OPPOSÉS À CE PROJET DE LOI ?

 

 

1/ À propos des techniciens du spectacle.

 

Le premier point qui nous semble inacceptable dans cette loi, c’est qu’elle ne concerne pas les techniciens du spectacle. En effet, le statut va faire entrer dans la sécurité sociale des salariés certains indépendants mais il exclurait des gens qui vivent la même précarité que nous. La majorité des techniciens du spectacle, qui ne sont pas engagés à l’année, vivent du spectacle comme nous. Je ne vois pas pourquoi nous autres, « artistes » aurions un statut privilégié par rapport à eux ? Nous constatons avec joie que dans son programme électoral pour les dernières élections, le PS a mis ce point précis à l’ordre du jour dans ses perspectives liées à la culture.

 

 

2/ Sur le champ d’application.

 

 Est-ce qu’un preneur de son est un artiste ? Un régisseur ? Une costumière ? Un maquilleur ? Cela nous amène au point contesté par le Conseil National du Travail, à savoir : « le champ d’application » et la « notion d’artiste ». Dans le nouveau statut, il est difficile de définir qui est artiste et qui ne l’est pas ? Qui décidera et selon quel critère ? Il est difficile également d’établir une définition objective et précise de ce qu’est un artiste. Je sais ce qu’est un artiste de spectacle mais je ne sais pas ce qu’est un artiste en général. Ne risque-t-on pas également de voir s’engouffrer dans ce statut toute une série de faux artistes qui risqueraient de mettre à mal le système ? Comment distinguer l’artiste de l’artisan ? L’article 3-3° stipule d’ailleurs le terme de « prestations artisanales » !

 

 

3/  Sur la possibilité de choix entre indépendant et salarié.

 

Pour qu’un artiste interprète devienne indépendant, il doit simplement prouver l’absence de lien de subordination. Ce qui n’est pas très compliqué étant donné nos situations diversifiées et nos employeurs multiples. La liberté de choix pour un artiste de spectacle d’être salarié ou indépendant est un choix assez dangereux car nous savons que même avec les avantages sociaux annoncés, la majorité des employeurs préféreront engager un artiste indépendant qui leur coûtera toujours moins cher. Les réductions de cotisations sociales devraient être plus significatives pour que le recours à un artiste salarié soit vraiment avantageux. D’autre part, l’examen des demandes sera-t-il suffisamment pertinent pour éviter le développement de « faux indépendants » ?  La marche arrière est-elle possible ? Comment et après combien de temps ?

 

 

4/  Sur les artistes créateurs.

 

Il faut savoir que ce statut va compliquer la vie de certains artistes créateurs. À partir du 1er juillet, ceux qui étaient indépendants et qui veulent le rester devront démontrer « qu’ils ne travaillent pas dans des conditions socioéconomiques similaires à celles dans lesquelles se trouve un travailleur par rapport à son employeur. » Quant à ceux qui voudraient être salariés, comment réagiront leurs « clients » ou « commanditaires » quand ils apprendront qu’ils seront redevables de cotisations patronales et d’un pécule de vacances ?

 

 

5/  Sur les avis défavorables du Conseil National du Travail.

 

Nous constatons avec inquiétude les deux avis négatifs du Conseil National du Travail qui concernent, entre-autre, les points définissant le champ d’application, la réduction des cotisations patronales et l’affiliation à l’Office national des vacances annuelles.

 

 

6/  Sur les structures intermédiaires.

 

Pourquoi limiter le recours à des structures intermédiaires uniquement pour les utilisateurs occasionnels d’artistes ? Pourquoi ne pas permettre aux artistes qui le souhaitent de s’affilier à ces structures pour l’ensemble de leurs activités ?

 

 

7/  Sur la « Commission des artistes ».

 

Comment la commission des artistes va-t-elle délibérer et en combien de temps ? Les critères de décisions ne risquent-ils pas d’être arbitraires ?

 

 

 

8/ Sur les incidences par rapport aux conventions collectives.

 

Comment peut-on garantir les conventions collectives et comment appliquer les barèmes minimaux légaux si, par exemple, dans une même troupe théâtrale, on trouve des comédiens salariés et des comédiens indépendants ? Y aura-t-il un barème minimum obligatoire également pour les indépendants dans les entreprises ayant signé la convention collective ?

 

 

 

 

3/ CONCLUSIONS.

 

Le chantier est loin d’être terminé. Un travail important reste à faire dans les années à venir.  Les principales préoccupations des artistes sont liées à leur emploi, au respect de leur contrat et des règles sociales en vigueur, aux barèmes salariaux sectoriels à unifier, au financement des institutions, à la fiscalité, à la simplification de certaines démarches administratives, à une meilleure promotion de leur travail et à une politique culturelle d’envergure.

 

Nous sommes d’avis qu’il faut continuer à approfondir un moyen de financement alternatif de la sécurité sociale des artistes.

 

Quitte à faire de tous les artistes des salariés, il y a un autre projet vers lequel nous devrions peut-être nous (re)pencher car il est long et élaboré, réfléchi et qu’il émane d’études très sérieuses, c’est le projet issu des études d’André Nayer et de Suzanne Capiaux ayant fait l’objet des tables rondes. Il y avait là, à mon sens, une proposition de loi (initiée sous Philippe Busquin par Patrick Moriaux et Yves Detienne) très sérieuse et qui mériterait une nouvelle approche. Nous sommes prêts à le faire.

 

Ce projet visait à ne plus faire peser la charge des cotisations sociales (actuellement patronales) sur les employeurs mais sur tous les contributaires sociaux, c’est-à-dire les utilisateurs d’artistes, privés et institutionnels. Ceux-ci seraient invités à payer 3 % de leur chiffre d’affaire pour contribuer à la sécurité sociale des artistes. Dans cette proposition de loi, les employeurs ne devraient plus payer de cotisations patronales. La Communauté Française ne devrait plus tenir compte dans ses subventions des cotisations patronales.

 

D’autre part, Bruxelles étant la Capitale de l’Europe, nous pensons qu’il ne faut pas ignorer la construction européenne dans l’élaboration d’un nouveau statut social. À cet égard, il est peut-être important de signaler que cette idée n’est pas une illusion. En effet, le 22 octobre 2002, en séance plénière à Strasbourg, le Parlement Européen votait à l'unanimité un rapport proposé par l'eurodéputée Geneviève Fraisse et intitulé : "Importance et dynamique des artistes dans l'Europe élargie" ? Ce rapport rappelle très clairement aux Etats membres leur responsabilité dans l'élaboration d'un espace culturel européen et les encourage à donner une cohérence européenne à leur politique culturelle, comme les y incite le traité d'Amsterdam. Une kyrielle de propositions visent à renforcer le statut des artistes, éliminer les discriminations fiscales entre les pays, engager des réflexions pour coordonner les législations sociales et fiscales, créer un "passeport européen" de l'artiste ou donner naissance à un guichet unique pour les formalités d'embauche. Mme Fraisse suggère une quarantaine de dispositions concrètes, dont un statut européen des associations culturelles, la création de centres de résidences polyvalents, un prix européen des arts du spectacle, une reconnaissance des diplômes entre Etats membres ou encore une plus ample utilisation des fonds structurels pour rénover les théâtres, opéras et salles de spectacle.

 

 

 

 

 

Pour résumer notre position, nous pensons que l’urgence principale pour les artistes est le refinancement du secteur culturel. Pour cela, nous devons continuer à maintenir cette idée que les artistes et le secteur culturel dans son ensemble ont véritablement et avant tout besoin d’un profond re-financement !

 

Ensuite, nous nous désolidariserons difficilement de nos amis techniciens sans qui nous autres, artistes du spectacle, sommes finalement très peu de choses.

 

Enfin, comme il semble impossible de revenir en arrière, nous souhaiterions continuer l’élaboration d’un statut social et fiscal mais en planchant plutôt sur l’amélioration du projet de loi de Patrick Moriaux d’Yves Detienne qui nous semble plus abouti et plus novateur que le statut inséré dans la loi-programme.

 

Enfin, nous souhaiterions approfondir les perspectives européennes par l’approfondissement des propositions énoncées plus haut et par d’éventuels groupes de travail au sein de la communauté française ? 

 

 

 

 

Pierre Dherte,

coordinateur ASCO (Association des comédiens)

le 15 mai 2003

 

.